Le petit Marrakchi N° 004



Chaal f’essâa ? Quelle heure est-il ? Une question finalement assez peu posée au Maroc… Les carences de l’équipement en horloges publiques ou un atavisme méridional ne suffisent à justifier ce qui pourrait sembler insolite au visiteur étranger. Celui-ci, bercé de convictions occidentales sur l’intangibilité du cadran, de dictons sur la rigidité du calendrier et les vertus de la ponctualité (“l’heure c’est l’heure”, “time is money”) peut parfois, ici, en terre musulmane, africaine et méditerranéenne, être tenté d’observer sa montre comme une boussole déréglée. “Les Suisses ont inventé la montre, nous, nous avons inventé le temps” répond l’écrivain marrakchi Mahi Binebine. C’est précisément cette élasticité temporelle qu’il faut apprivoiser. Car elle n’est pas à sens unique. Pour un rendezvous manqué, pour un délai non respecté, combien de bonnes surprises ? Combien de réalisations, que les sceptiques jugeaient impossibles, forcent l’admiration du voyageur attentif ? Du dépannage miraculeux en bord de nationale à la mobilisation des habitants d’un douar pour porter secours au touriste en détresse en passant par la maison en matériaux traditionnels surgie de terre en moins de huit semaines, les exemples abondent pour qui sait prendre la patience d’y réfléchir. Ces “temps” du Maroc, et leur corollaire d’incertitudes, se déclinent aussi pour d’ambitieux projets d’aménagement. La Ville rouge est un gigantesque chantier d’immeubles, de projets commerciaux et culturels. Qui aurait parié qu’une ville nouvelle, un stade, une nouvelle gare, un nouvel aéroport ou un complexe de cinéma multisalles verraient le jour en moins d’un an ? Que les pharaoniques travaux de réfection de l’avenue Mohammed VI seraient réalisés en plein mois de ramadan ? En novembre, à Agadir, lors du concert pour la Tolérance, tous les acteurs touristiques se sont mobilisés dans un temps record pour la réussite de plus grande manifestation de divertissement jamais organisée dans le Maghreb. La réussite de l’organisation et la notoriété internationale des festivals, véritables leviers de la stratégie touristique du royaume, sont également inédits à l’échelle du continent. La volonté politique, même exprimée au plus haut niveau de l’Etat, n’explique pas tout. Ces objectifs ambitieux, même imparfaitement définis, même partiellement atteints, démontrent aussi et surtout la compétence et l’énergie d’une population, consciente d’être à la croisée des chemins du développement dès lors où cette conviction est partagée par tous ses authentiques partenaires.
                                                                                                                                                                                                                 Nicolas Marmié